Par Marc Meschenmoser (MM) et Stefania Telesca. Traduction par l'équipe d'OrphAnalytics du reportage "Gekaufte Uni-Arbeiten" de l'émission "Rundschau", Schweizer Radio und Fernsehen (SRF), 06.01.2016

(Herbert Jost-Hof (HJH) dans une bibliothèque universitaire). Le monde du savoir rassemblé. Les étudiants s’essayent à l’approfondir, à rechercher, à analyser et à rédiger leurs propres textes.

Il (HJH à l'image) a également écrit contre rétribution une thèse de doctorat comme ghostwriter.

  • HJH : Mon nom est Herbert Jost-Hof. Je suis ghostwriter i.e. j'écris des documents académiques pour des étudiants, des dissertations, des thèses, tout ce qui leur est demandé. Cela ressemble à ce que je tiens dans ma main. Celui là est un exemple de mémoire final. De part le sujet abordé, il coûte 3800 francs suisses environ.

Voici un diplôme final pour CHF 3'800, un travail rédigé par un ghostwriter contre rétribution sur la gestion d’établissement. Détaillé. Table des matières, recherche précise. Rien ne manque. Bibliographie incluse.

  • HJH : Oui, je travaille pour des étudiants de Suisse, d’Autriche et bien sûr d’Allemagne. Comment se comportent les étudiants suisses ? Généralement, ils sont très sympathiques, très agréables, très coopératifs et, finalement ce que j’apprécie, ils sont également dans la plupart des cas, très reconnaissants.

(Trois Étudiants ("Et") dans un hall de l'Université de Zurich). Des cours dans de grands auditoires à l'Université de Zürich, du bachotage et un travail écrit tous les deux mois. Séminaire, bachelor, master, voire thèse de doctorat : combien d’étudiants les rédigent vraiment eux-mêmes ?

De tels travaux achetables sont tentants.

  • MM : Nous proposons à 4'500 francs un travail de bachelor. Intéressée ?
  • Et1 : Non, pas tout de suite (une étudiante en journalisme à l’université de Zurich).
  • MM : Pourquoi pas. Ah oui, le plagiat.
  • Et1 : Nous venons d’avoir une instruction sur ce thème un peu délicat. Et on devrait encore apprendre quelque chose.
  • MM : Alors, vraiment pas ?
  • Et1 : Non, c’est un peu trop cher actuellement.

  • MM : Avez-vous eu connaissance d’étudiants qui ont fait rédiger leurs travaux ici à l'Université de Zurich ?
  • Et2 : Pas pour de travaux de master ou de bachelor, mais pour d’autres oui (une étudiante en linguistique à l’université de Zurich).
  • MM : Pour quels type de travaux ?
  • Et2 : Surtout des petits travaux. Un séminaire ou un travail qui n’est pas important… un travail facile que l’on n’a pas envie de faire et pour lequel on a un budget suffisant.

  • MM : On a déjà vu des travaux de bachelor rédigés par un ghostwriter pour 4500 francs. Intéressé ?
  • Et3 : Hem. Non, certainement pas (un étudiant en littérature française à l’université de Zurich).
  • MM : Mais pourtant vous avez hésité un instant.
  • Et3 : C’est tentant. Encore un peu cher. C’est beaucoup d'argent pour un étudiant.

Chaque année, le nombre d'étudiants s'inscrivant dans les universités suisses augmente. Un professeur pour 500 étudiants. Et les étudiants doivent fournir toujours plus de travaux écrits. La tentation d’en acheter un est plus forte.

(Bureau du Prof. Michael Hengartner (MH)) Michael Hengartner est le président de la conférence des recteurs des universités suisses. Il dit ouvertement que l'on pourrait encore sensibiliser davantage (les étudiants).

  • MH : Nous pouvons expliquer aux étudiants qu’il est dans leur propre intérêt de ne pas le faire. Mais la tentation existe bien sûr et les gens faibles sont le jouet de leur faiblesse. Nous ne pouvons pas l’écarter complètement.

Les titres académiques sont à un clic de souris. Les ghostwriters écrivent sur demande des bachelors, des masters, des thèses de doctorat. Notre demande de rédaction d'un texte de 25 pages reçoit un devis en 15 minutes. Le travail scientifique coûte 2'268 francs. Cela montre comment la technologie simplifie la triche à notre époque.

  • MM : Mais vous n’avez pas les ressources en personnel pour que chaque étudiant soit interrogé oralement sur tous ses travaux.
  • MH : Cela dépend du contexte. Au début dans certaines branches, ils ont des cours ex cathedra. Nous ne les testons là que par des examens écrits.
  • MM : Vous ne leur faites pas rédiger de mémoire ?
  • MH : Je ne peux pas corriger correctement 500 travaux de 10 pages. C’est difficilement réalisable. Bien sûr, un travail de master ou une thèse sera testé par oral également. Et l’on jugera ainsi si M. Müller ou Mme Meier savent de quoi traite leur travail.

(Bureaux suisses de l'entreprise ACAD Write) Cette maison zurichoise est l’adresse de la plus grande agence suisse de ghostwriting suisse : ACAD Write. Le gérant : Thomas Nemet (TN). 3 millions de francs chiffre d’affaires par année. De plus en plus d’étudiants suisses font rédiger leurs travaux par un tiers.

  • TN : On peut faire rédiger 10 pages pour un montant que j’estime à 1200 francs… Ok, 10 pages assez faciles. J’évalue que l’on y arrive pour 990 (francs).
  • MM : Combien d'étudiants suisses peuvent faire rédiger leur travail par vos soins ?
  • TN : Oh, je peux vous dire que 480 personnes environ nous ont consulté en 2015 et que 200 nous ont mandaté.

200 étudiants. Le chiffre choquant de 200 étudiants suisses qui ont acheté leur travail universitaire chez lui l’année passée.

Il embellit la fraude.

  • TN : Tu étudies, tu dois terminer ta formation et ensuite tu pourras grimper dans l’échelle sociale.

Tricher comme modèle d'affaires.

  • TN : Vous dites tricher. On triche partout.

Son affaire à millions se déroule de manière discrète. Les noms des clients atterrissent dans la déchiqueteuse du bureau zurichois. Neme't a rédigé une clause de protection dans les contrats.

  • TN : Nos conditions stipulent qu'il n’est pas permis de présenter notre travail comme la publication à soumettre pour un travail d’examen.
  • MM : Mais vous savez bien que les étudiants font précisément cela. Vous n’avez aucun remords ?
  • TN : Non, comme pour une arme : le fabricant n’est pas responsable de la blessure (par balle) de quelqu’un.

Tout est conçu sur Internet pour l’achat sur mesure. La seule chose nécessaire est un effort minime et un compte en banque bien garni, par les parents si nécessaire.

(Dans une bibliothèque universitaire) L'expert : la professeure Michelle Bergadaà (MB). Chaque semaine, elle explique aux universités en Europe, que si les étudiants sous-traitent leur rédaction à des tiers, le titre de docteur leur sera retiré. Elle soupçonne, sur la base d'enquêtes aux Etats-Unis, que la triche est importante en Suisse aussi.

  • MB : J’estime que 10% des étudiants n’écrivent pas leur travail eux-mêmes. Hormis l'introduction, la conclusion et les remerciements, le reste est rédigé par un tiers sous contrat. Il y a même 50% des étudiants en Suisse qui se font aider ou qui ont acheté une partie de leur texte. Par exemple, la bibliographie : jusqu'à 50%. Quand les universités donnent un titre à ces étudiants, c’est injuste pour ceux qui ont vraiment travaillé pour leur doctorat. Grâce à un titre universitaire acquis, les fraudeurs obtiennent de bons emplois. C’est du vol.

Bergadaà dit que les universités suisses font peu pour lutter contre le ghostwriting.

  • MB : Les universités doivent repenser leur système. Examiner les étudiants après la première année pour voir s’ils ont le niveau et non pas constater, après 3 à 4 ans de bachotage, qu’ils sont incapables d’écrire par eux-mêmes.

(A l'Université de Saint-Gall) Quelles conclusions tirent les universités ?

Par exemple, l'Université de Saint-Gall. Un étudiant transmet au recteur Thomas Bieger le cas d'un étudiant de sa volée soupçonné d’avoir mandaté un ghostwriter pour rédiger son travail. La réponse écrite, abrupte, du recteur de l’université de St-Gall de Saint-Gall est donnée à Rundschau : …Nous vous demandons de signaler les infractions connues directement aux organismes d'application de la loi concernée… Meilleures salutations, Professeur Thomas Bieger.

Son adjoint, le vice-recteur Lukas Gschwend (LG), se présente à l'interview. Il reconnaît l’ampleur du problème du ghostwriting.

  • LG : Je dois dire que je suis sans voix. Je reste sans voix que l’on présente le problème ainsi. Si, comme je le pense, on fait abstraction des aspects légaux, c’est la crédibilité des universités qui est en jeu en fin de compte.

L'université de Saint-Gall confirme à Rundschau qu’elle a maintenant engagé la justice contre les tricheurs et les ghostwriters pour la première fois.

  • LG : Nous avons intenté un procès qui n’est pas dirigé particulièrement contre une personne, mais contre un délit poursuivi d’office. Les procureurs clarifieront qui est impliqué d’une certaine façon. Cette situation est absolument intolérable et nous, les hautes écoles spécialisées et les universités, devons prendre ensemble des mesures.

(TN dans les bureaux suisses de l'entreprise ACAD Write) 300 ghostwriter écrivent pour lui (TN).

  • MM : Comment se présentent les affaires, bonnes ou mauvaises ?
  • TN : Oui. Plutôt bien.

Nemet découvre la plainte déposée grâce à Rundschau. L'Université de St-Gall a déposé une plainte pénale. Contre leur modèle d'affaire.

  • TN : Contre mon modèle d'affaire ? C’est nouveau pour moi.
  • MM : Qu’en dites-vous ?
  • TN : Je suis curieux de voir ce qui va se produire.

(HJH dans une bibliothèque universitaire)

  • HJH: Ceux qui en font une bonne affaire disent qu’une bonne formation est un produit achetable. Je le ressens comme une variante du travail académique dont je fais partie, et dites vous bien que je ne suis pas le seul à le faire. La plupart simplement ne viennent pas devant la caméra pour le dire.

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