Cet article de Claude-Alain Roten, OrphAnalytics, est paru dans l'1dex le 31 octobre 2017.
Toutes les analyses statistiques révèlent sans ambiguïté qui écrit pour Elena Ferrante: Domenico Starnone

Personne n’a pu rencontrer l’auteur(e) des romans à succès signés Elena Ferrante. Ces ouvrages connaissent un fort intérêt, comme le montre le succès des traductions en anglais. En octobre 2016, des rumeurs ont circulé, annonçant qu’Elena Ferrante allait recevoir le Prix Nobel de littérature avant que Bob Dylan ne l’obtienne..

Différents écrivains ont été proposés comme auteur de ces livres aux accents napolitains : de Domenico Starnone à Erri de Luca, en passant par Michele Prisco. D’autres auteurs ont été suggérés comme Goffredo Fofi ou des femmes : l’historienne Marcella Marmo ou Anita Raja, napolitaine de naissance qui a grandi à Rome et qui est la femme de Starnone. Certains ont même envisagé une personne inconnue, sans expérience d’écriture, voire un collectif, ce qui expliquerait l’énergie avec laquelle l’anonymat est préservé.

Selon le journaliste Paolo di Stefano du Corriere della Sera, la candidature de Domenico Starnone à la rédaction des romans d’Elena Ferrante revient de façon récurrente. Cette proposition, avancée pour la première fois par Luigi Galella, a été testée en 2006 par le professeur de physique Vittorio Loreto associé à Andrea Baronchelli. Ces deux chercheurs de l’université La Sapienza de Rome ont utilisé un logiciel développé par des collègues mathématiciens qui exploite des algorithmes de compression de données. Selon cette première étude statistique, Domenico Starnone serait l’auteur du corpus Ferrante.

Une autre étude statistique et linguistique s’est concentrée sur l’analyse d’une centaine de romans italiens contemporains. Cette recherche menée, pour l’université de Trieste par le prof. Stefano Ondelli, linguiste, et, pour l’université de Padoue, par le prof. Michele Cortelazzo, linguiste, la prof. Arjuna Tuzzi et Paolo Nadalutti, statisticiens. Les résultats de cette analyse commentés en 2016 montrent un fort apparentement entre les ouvrages de Ferrante et Starnone.

Les deux premières études statistiques désignent donc l’écrivain de talent Domenico Starnone comme l’auteur des romans signés Ferrante. D’abord enseignant, puis journaliste, il a participé comme scénariste à différents films. Il a écrit une quinzaine d’essais et une vingtaine de romans. Il fut lauréat notamment du prix Strega en 2001, l’équivalent italien du prix Goncourt. Pour certains chroniqueurs littéraires, le fait que Starnone écrive sous le pseudonyme Ferrante est un secret de polichinelle.

Domenico Starnone n’a jamais reconnu qu’il a écrit sous le pseudonyme Ferrante, rassurant ainsi la majorité des lecteurs, persuadés que seule une femme peut rédiger les romans signés Ferrante. Publiée début octobre 2016, une enquête journalistique de Claudio Gatti a décrit l’évolution du patrimoine du couple Starnone-Raja. Selon cette investigation, Anita Raja est la bénéficiaire des droits des textes d’Elena Ferrante, publiés dans la maison d’édition e/o (pour Est/Ovest ou e/oppure) où elle travaille comme traductrice.

Afin d’apporter sa contribution dans la question d’authentification, la startup valaisanne OrphAnalytics SA a mené une investigation avant la publication mi-octobre 2016 du lauréat du prix Nobel de littérature. Les algorithmes ont challengé l’hypothèse que Domenico Starnone est l’auteur du corpus signé Ferrante. Les auteurs et livres ont été choisis en discussion avec le journaliste Paolo di Stefano du Corriere della Sera. Les résultats obtenus montrent sans équivoque que Domenico Starnone présente un style confondable avec celui d’Elena Ferrante, alors que celui d’Erri de Luca se distingue des deux autres.

Dans ce graphique, les résultats de la startup Orphanalytics: les livres de Starnone en orange, ceux de De Luca en gris, les textes de Ferrante dans les autres couleurs: De Luca apparaît isolé tandis que les deux autres auteurs se chevauchent. Pour en savoir plus, consultez le communiqué de presse d'OrphAnalytics du 11 octobre 2016.

Pour les spécialistes, la proximité de style d’Elena Ferrante et de Domenico Starnone est frappante dans les conditions d’analyse choisies. Notre enquête stylométrique confirme celle menée par le prof. Loreto de l’université romaine la Sapienza en 2006, ainsi que celle du prof. Cortelazzo de l’université de Padoue de 2016. Les analyses d’OrphAnalytics ont été publiées par un communiqué de presse en octobre 2016, repris par le Temps et le Corriere della Sera,

Sans réaction du couple Starnone-Raja, les prof. Cortelazzo et Tuzzi ont organisé en septembre 2017 un atelier à Padoue qui a réuni six spécialistes internationaux. Après l’analyse de 150 romans contemporains rédigés par une quarantaine d’auteurs italiens, tous les participants du colloque sont arrivés à la même conclusion : l’écriture de Ferrante se confond avec celle de Starnone.

En résumé, neuf approches, très différentes les unes des autres, arrivent toutes à la même conclusion : les romans de Ferrante utilisent une écriture fortement similaire à celle de Domenico Starnone. Si l’on ne peut exclure une écriture commune du couple Starnone-Raja, les résultats des neuf analyses qui, ensemble, correspondent à ceux d’une méta-analyse, révèlent que Domenico Starnone écrit tout ou grande partie des romans signés Ferrante. Ce résultat correspond aux intuitions des chroniqueurs littéraires du Corriere della Sera et de la Repubblica par exemple. Seuls certains spécialistes comme la prof. de littérature italienne Rebecca R. Falkoff de l’université de New York soutiennent la possibilité qu’Anita Raja soit l’auteure des romans signés Ferrante.

Au vu de l’écrasante majorité des résultats statistiques (9/9) et des intuitions de lettrés, pourquoi la plupart des articles de presse internationale favorisent l’hypothèse qu’Anita Raja soit Elena Ferrante ? Et si réellement Domenico Starnone est vraiment l’auteur des Ferrante, pourquoi nie-t-il avec véhémence toute participation à l’écriture des romans d’Elena Ferrante ? Quelles que soient les réponses à ces questions, l’absence d’aveu par le signataire aura permis à la recherche littéraire spécialisée de se renforcer dans l’attribution d’auteur.

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